top of page

Hantises

2

Le piège

Une pluie diluvienne s’abat sur Mulhouse depuis quatre jours. Les mains agrippées à ma capuche, je remonte le boulevard de l’Europe. A cette heure-ci, malgré ce temps exécrable, les passants restent nombreux. Enfin, j’aperçois le magasin. Je me faufile, et me retrouve devant une devanture boisée. A l’intérieur, une pancarte me souhaite la bienvenue au temple du jouet. Je me trouve dans un labyrinthe bordé d’immenses étagères réparties sur trois étages. Sur chacune d’entre elles, une multitude de jouets parfaitement alignés. Je salue une vendeuse. Elle me répond par un sourire, puis s’approche.

- Madame ! Puis-je vous aider ?

- Oui.

Je récupère le bout de papier soigneusement plié dans mon sac. J’éclaircis ma voix et lui donne la référence.

- Je voudrais une poupée « beauty life » numéro IBJ 486.

- Veuillez patienter.

La vendeuse disparait quelques instants, le temps de réapparaitre les bras chargés d’une boîte rectangulaire. Elle me tend le colis.

- C’est bien ça.

En découvrant la poupée, je comprends l’engouement de ma fille. Ses traits fins sont parfaitement dessinés. Elle porte une magnifique robe printanière assortie d’escarpins vernis. Enfant, j’aurai rêvé avoir la même. Tess va adorer.

- Je vous l’emballe ?

- Oui, je vous remercie.

J’imagine ses yeux pétiller lorsqu’elle ouvrira son cadeau. Ce soir nous fêtons ses sept ans.

Sept ans déjà !

Je nous revois, Denis et moi, ramener Tess de la maternité. Ses premiers mots. Ses premiers pas. Sa rentrée à l’école maternelle.

Le paquet empaqueté et payé, je me précipite jusqu’à la voiture. Je cache mon achat dans le coffre, et met le contact. Direction l’école. A cause de la pluie, j’attends le dernier moment pour m’extirper et l’attendre devant le portail. Enfin, je la vois. Mon amour. Mon trésor. Elle se précipite dans mes bras.

- Maman !

- Ma chérie !

- Tu m’as manqué.

- Toi aussi.

Je lui prends délicatement la main. Nous nous dépêchons de nous mettre à l’abri. Dans l’habitacle, j’ôte son blouson rose, et l’installe dans son siège. Elle est si jolie. De grands yeux vert. Des boucles blondes qui retombent sur ses épaules. Une vraie petite poupée. Je l’embrasse sur le front, et prend la direction de la maison. Nous vivons dans un quartier pavillonnaire de banlieue. Denis et moi voulions vivre à la fois dans un coin tranquille, sans pour autant perdre les avantages d’une vie citadine.

En m’engageant dans l’allée, je constate que Denis n’est pas encore arrivé. J’appuie sur la télécommande, et rentre la voiture dans le garage.

Nous prenons le gouter dans le salon. Au menu, compote, et barre chocolatée.

- Maman, on ne fête pas mon anniversaire ? s’inquiète Tess.

- Ce soir. Quand papa sera là. En attendant, à la douche jeune fille !

La salle-de-bain se transforme rapidement en une véritable patinoire. C’est toujours agréable de voir sa fille rire aux éclats. Pour l’occasion, je lui enfile son pyjama préféré. Celui avec une licorne rose.

- Maman, je peux mettre du parfum ?

- C’est ton anniversaire après tout.

J’ouvre le tiroir et récupère un flacon aromatisé à la mandarine. Je vaporise ses poignets, qu’elle frotte énergiquement l’un contre l’autre.

- Tiphaine !

- Je prépare Tess.

En entendant la voix de son père, Tess se précipite dans le couloir. J’ouvre la fenêtre, étend la serviette, et redonne à la salle-de-bain un aspect convenable.

Je retrouve mes deux amours dans le salon, en plein partie de chatouille-moi si tu peux. En les observant, je réalise combien j’ai de la chance de vivre la vie dont j’ai toujours rêvé. Un mari attentionné. Une fille adorable.

Le repas se passe dans la joie et la bonne humeur. Pour le dessert, je sors mon gâteau au chocolat cuisiné ce matin. J’allume une grosse bougie représentant une princesse Disney.

« Joyeux anniversaire »

Tess déballe son cadeau. La poupée fait son petit effet.

Une heure plus tard, Denis et moi décidons de mettre Tess au lit. Demain tout le monde travaille. Nous bordons notre fille, qui finit par s’endormir, la poupée serrée contre son torse.

- J’ai trop mangé, taquine Denis en tapotant son ventre.

- Tu t’es littéralement jeté sur le dessert.

- Je n’ai pas su résister.

Denis m’attrape par la taille, et m’entraine dans notre chambre. Comme toujours, notre étreinte est tendre, passionnée. Blottie contre son torse, je plante mes yeux dans les siens.

- Denis, je te remercie pour les sacrifices que tu as fait pour moi.

- Je l’ai fait pour nous.

- L’ostréiculture était toute ta vie.

- Non, la vie que mes parents m’avaient choisi.

- A cause de moi, tu n’as plus de famille.

- Ma famille c’est toi. Et Tess. Nous en avons déjà parlé maintes fois.

- Je sais. C’est seulement que parfois, je me demande si tu n’as pas de regret.

- Jamais ! Il y a plus de sept ans j’ai fait le meilleur choix de ma vie, te suivre jusqu’ici. La Bretagne n’est qu’un lointain souvenir. Et toi, as-tu des regrets ?

- Aucun.

Rassurée, je me glisse sous la couette, Denis s’allonge à mes côtés, et m’entoure d’un bras protecteur. Il me susurre combien il m’aime. Je lui réponds que je ne pourrais pas vivre sans lui, sans Tess.


Les chiffres lumineux du réveil indiquent 2 : 45 lorsque je me réveille d’un sommeil sans rêve. Incapable de me rendormir, j’étends délicatement mon bras du côté de Denis, espérant que la chaleur de son corps m’apaise. Mes doigts rencontrent un espace vide. Surprise, je me retourne. Il n’y a personne. Non seulement les draps sont froids, mais de ce côté-ci le lit n’est même pas défait.




À l'affiche
Revenez bientôt
Dès que de nouveaux posts seront publiés, vous les verrez ici.
Posts récents
Par tags
Nous suivre
  • Facebook Classic
  • Twitter Classic
  • Google Classic
bottom of page