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Hantises

1

La proie

Quatre heures !

Il lui reste seulement quatre heures à vivre. Soit exactement 240 minutes et 27 secondes.

Pour le moment elle l’ignore, alors elle se lève comme chaque matin. Sauf que celui-ci sera le dernier.

Direction la salle-de-bain. Sans faire de bruit, elle prend une douche express, enfile un tailleur noir, et noue ses cheveux.

Elle attrape la bouteille de parfum.

Peste.

Le flacon manque de tomber dans le lavabo. Elle imagine 150 euros s’évaporer dans les canalisations. Il lui avait offert ce cadeau pour son anniversaire. Avant que…Ce n’est pas le moment de penser à ça.

Coup d’œil à sa montre. Les autres vont se réveiller. Elle doit se dépêcher.

Si seulement elle savait…

Elle descend dans la cuisine. Sans perdre une minute, elle prépare le café, toaste des tranches de pain de mie. Elle récupère le beurre dans le frigidaire, ouvre un pot de confiture aux myrtilles. Les gestes sont automatiques. Une routine inébranlable qui perdure jour après jour. Une fois la table mise, elle pousse un profond soupir en repensant à hier soir.

Son estomac se crispe.

Elle sent la bile remonter.

Il avait pourtant promis de ne pas recommencer.

Mais…

Comme toujours, ses paroles ne valent rien.

Pas le temps de s’apitoyer.

Claquement de porte.

Bruits de pas précipités.

Deux fillettes apparaissent dans l’embrasure de la porte. Encore à moitié endormies, elles s’installent autour de la table.

Elle les embrasse tendrement sur le front.

- Vous avez bien dormi ?

- Oui, répondent-elles à l’unisson.

Aujourd’hui il y a école, alors elle se dépêche de faire chauffer deux mugs de lait au micro-ondes. Ensuite, elle y verse le chocolat en poudre, et remue énergiquement avant de servir.

- Faites attention, c’est chaud. Je vous prépare les tartines.

L’ambiance est joviale. Les enfants parlent avec entrain. Elle profite de cet instant pour oublier. Bercée par cette atmosphère infantile, elle ferme les yeux. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Ce répit est de courte durée.

Un bruit sourd résonne à l’étage.

Quelqu’un dévale les escaliers avec hâte.

Dans la cuisine plus personne ne parle. En silence, on écoute. On attend.

- Putain ! Je me suis cogné l’orteil contre l’armoire. Ça fait un mal de chien, grommèle le nouvel arrivant.

Il se sert un café, et s’effondre sur une chaise.

- Alors les filles, bien dormies ?

Les fillettes opinent d’un simple hochement de tête.

Le reste du repas se passe en silence.

- Montez-vous laver les dents ! J’arrive !

Avant de les rejoindre, elle commence à débarrasser la table. Son mari se sert un second café.

Leurs regards se croisent. Un échange intense. Les mots ne sont pas nécessaires. Ils se comprennent.

- Je peux t…

- Pas maintenant !

- Tu ne…

- S’il te plait, n’insiste pas. Je dois aider les filles à se préparer. Sans attendre, elle joint le geste à la parole.

Dix minutes plus tard, tout le monde est prêt.

Dehors le temps est maussade. Le ciel est sombre. Pourtant, rien ne laisse présager la tragédie qui est sur le point de se jouer.

100 mètres, les sépare de l’arrêt de bus. Sous l’auvent, des parents trépignent d’impatience, une clope à la main. Finalement, le car arrive avec trois minutes de retard. Derniers baisers.

A son retour, elle trouve la maison vide. Son mari est parti au travail. Tant mieux. Oui, ils auraient une discussion. Mais pour le moment elle n’en avait pas le courage.

Deux heures trente avant que tout s’arrête. Indifférente au sort funeste qui l’attend, elle passe un coup d’aspirateur. Le temps d’enfiler son manteau, récupérer son sac, elle roule en direction du centre-ville. A l’entrée du parking, elle sort son badge, et trouve une place au premier étage.

D’un pas pressant, elle rejoint la rue. Non pas qu’elle soit en retard. Au contraire, elle a pris un peu d’avance. Au lieu d’entrer dans le bâtiment dans lequel elle travaille, elle poursuit son chemin encore de quelques mètres, et s’engouffre dans une cabine téléphonique.

D’ici elle serait tranquille. L’appel resterait intraçable. Une fois la communication terminée, elle retourne sur ses pas.

Il ne lui reste plus que douze secondes à vivre !

Son destin est scellé. Désormais, tout va se jouer maintenant.

A l’angle de la rue, une voiture apparait.

Perdue dans ses pensées, elle ne l’entend pas arriver.

Impact dans cinq secondes !

La voiture donne un coup d’accélérateur.

Quatre !

En face, un passant assiste à la scène. Il fait signe au conducteur de ralentir.

Trois !

La collision est inévitable.

Deux !

Le véhicule se déporte, et poursuit sa course sur le trottoir.

Un !

L’impact est d’une violence extrême. Le véhicule la percute de plein fouet.

Sous l’effet du choc, son corps se trouve propulsé quelques mètres plus loin. Sa tête se fracasse contre le bitume. Inerte, elle git tel un pantin désarticulé. Tout signe de vie a disparu.

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